
La semaine de prêt à porter masculin, comme celle de la haute couture, laissent derrière elles l’image vivante de Nino Cerruti, d’André Léon Talley, de Thierry Mugler, dont la disparition, après celle de Virgil Abloh, d’Alber Elbaz, est devenue en soi une présence. La mode qui a toujours exprimé l’instant d’une époque, voit son disque dur hacké. La question est là. Comment se souvenir sans pétrifier, penser à ceux qui ne sont plus sans les embaumer, trouver le sens d’une histoire sans jamais perdre le fil de ce qui l’a précédée ? Cette saison, les anniversaires, les hommages autant que les citations participent à cette momification du temps. Lenteur dans la livraison, problème d’organisation, absences, télétravail… Ce qui rimait avec début, fête, tension, vibration, énergie, mouvement semble soumis à d’autres lois. Celles de l’urgence sanitaire, comme celles de la patrimonialisation. On garde, on thésaurise, et puis la bien pensance entretient le refus du neuf. Or la force des couturiers et des créateurs est de transformer, de donner la direction, de nous tendre une boussole dans un moment un peu compliqué. Il ne s’agit plus de ce « recommencement » que célébrait Christian Dior en 1947, ni de cette nostalgie camp incarnée par le style rétro d’Yves Saint Laurent en 1971. Jamais nous n’avons été autant connectés à l’instant qu’au passé, mais le « live » nous prive peut-être de l’essentiel : la vie. Un temps sans plomb, c’est bien sur ce dont tout le monde rêve aujourd’hui, à la recherche de cette légèreté d’être que la crise du Covid nous a confisqués. Celle qu’on retrouve dans le mouvement, la construction, la grâce rendue au geste, au corps, à sa manière qu’a un beau vêtement habiller des rêves, mais aussi de les renouveler.